Scénariste
François Boucq, Alejandro Jodorowsky
Déssinateur
François Boucq
Coloriste
François et Alexandre Boucq
Edition
Glénat
Date de sortie
22-11-2023
« Quel est donc cet endroit d’où même les morts veulent s’enfuir ! » Colonel Carter.
C’est un manteau de pluie qui tombe sur Barro-City depuis des jours. Les cercueils, écueils des morts, jaillissent de terre annonçant des jours en enfer. Le Bouncer doit faire face à une nouvelle concurrence, le « Pink Lady’s ». La tenancière sait y faire dans le vulgaire pour attirer le chaland. L’Inferno allait devoir secouer un peu les plumes de ses gagneuses pour ne pas perdre la face. Ce qui attire les mauvaises graines dans ce coin paumé du pays, ce ne sont pas ses soubrettes mais un objet bien plus brillant, l’or. L’or des damnés, ramené par Bouncer et ses potes, qui ne manque pas d’affamés pour venir se goinfrer en espérant trouver le pactole. La ville n’est plus celle du matin calme mais la porte vers l’apocalypse. On devra bientôt agrandir le cimetière pour faire de la place à tous ceux qui échouent, enfin ce qu’il en reste. L’arrivée du colonel Carter, Goldeneye, est censée protéger la ville de tous ces charognards que le ciel noir annonce. Il sera bientôt rejoint par un escadron de soldats afro-américains qui aura fort à faire pour maintenir l’ordre quand cette ville explosera sous l’appât du gain. Nous rajouterons un magicien qui a la bonne idée de faire disparaître des boîtes et des coffres en tous genres. Quand l’or, soi-disant bien gardé à la banque se fait la malle, le coupable est tout trouvé. Barro-City retrouve rapidement ses vieux penchants de lyncheur à la corde facile. Il ne faut pas s’étonner si tout l’or du monde se barre et que la ville sous la chaleur étouffante se transforme en OK Corral. Bouncer devra quitter l’enfer pour rejoindre ses amis face à la foule qui gronde et la tension qui monte. C’est peut-être la fin du voyage mais une chose est certaine, cet or est maudit !
Cinq ans après le dernier voyage, Bouncer nous racontant la découverte de cet or maudit, Boucq conclut sa trilogie dans un western crépusculaire flamboyant. Le western crépusculaire se distingue par la mise à mal des valeurs fondatrices du genre. On parle d’anti-héros. Bouncer et la majorité des personnages sont des perdants magnifiés. La frontière entre le bien et le mal s’estompe et les cartes des valeurs morales sont redistribuées. Il s’inscrit dans l’esprit contestataire de l’époque, celui des années 70 pour son âge d’or. Plus que le western italien, il me semble que la seconde influence est celle de Tarantino, Django Unchained, Les huit salopards, mélange de western crépusculaire et italien à la sauce Boucq. Les cercueils sont peut-être un clin d’œil à celui de Django ? Hécatombe porte bien son titre. On flingue et on meurt à presque toutes les pages dans un envol de flammes et autres objets mortels. Boucq s’amuse des codes du western pour mieux les exploser en cours de route. Il s’émancipe par petites touches dans l’arrière-plan qui, peu à peu, apparaissent en pleine lumière. Il compose une galerie de gueules cassées, d’estropiés, comme souvent dans ses récits, marqués par le handicap moral ou physique. Les citoyens de la ville ne valent pas mieux que les salopards attirés par l’or. Ce dernier devient une métaphore d’un rêve inaccessible car l’enfer n’est jamais pavé de bonnes intentions. Boucq fait table rase du passé et peu échapperont au carnage qui clôt douze albums pour mieux anticiper l’avenir.
Il s’absout de l’histoire familiale du début marquée en partie par la vengeance et la mort de la mère. Il balaye cette tragédie antique empreinte du cinéma mexicain marqué par la verve d’Alejandro Jodorowsky, El Topo, la Montagne sacrée, entre spiritualité, O’ Cangaçeiro film Brésilien de 1971, et le mouvement Panique. Il n’est pas étonnant que les deux compères, Alejandro Jodorowsky et François Boucq, s’entendent pour donner naissance à cette saga qui marquera la bande dessinée.
François Boucq prend une nouvelle direction qui devrait nous surprendre. Nous serons peut-être plus proches du héros nihiliste du western crépusculaire que la mort ne peut saisir car il a déjà un pied en enfer ou en revient. Hécatombe en marque le premier jalon avec son univers de perdition et de rédemption. Il faudra passer par la caverne, peut-être celle de Platon, pour perdre les illusions du monde et en percevoir la réalité. En attendant, les personnages s’inscrivent dans un décor vivant, changeant, que le dessinateur sublime. Il nous propose des compositions issues du cinéma mais aussi des paysages mythiques qu’il détourne à sa façon. L’humour se teinte du cynisme de Diogène, d’ironie et de nihilisme, et d’un peu de prestidigitation. Les femmes, silencieuses, sont porteuses d’une force dépassant la stupidité des hommes. Hécatombe nous emporte au bout de la piste pour recomposer un avenir différent. Il est temps de quitter la terre des origines pour découvrir le monde.
Patrick Van Langhenhoven