Scénariste
Christophe Bec
Déssinateur
Christophe Bec
Coloriste
Christophe Bec
Edition
Delcourt
Date de sortie
6 décembre 2023
Le vent court le long des géants de pierre immobiles, entre neige et gris de fin du monde. Les hommes de l’anthropocène ont fini par réduire la terre en un champ de radiations. L’humanité ne se souvient plus de ses ancêtres destructeurs. Il ne reste plus que les sombres carcasses, squelettes d’un monde florissant qui rêvait le bonheur et accouche de l’apocalypse. Les derniers survivants se terrent comme des marmottes dans un hiver infini. On fouille les poubelles et les squelettes d’un temps révolu, espérant déterrer un trésor. La survie ne tient qu’au fil d’une âme, vivant chaque jour comme une chance. Les maîtres du monde ne sont plus que des rats courant dans les sombres terriers, le soir venu. Ceux qui ont de la chance vivent des technologies agonisantes, drones et autres merveilles qui ont conduit à la fin d’une espérance. L’humanité ne regarde plus vers les étoiles mais vers les profondeurs de l’enfer qu’elle a ouvert. Dans ce monde court une légende, une graine d’espérance, un enfant bleu, un mythe nouveau. Oubliés les dieux de l’olympe, Ulysse, Arthur, et bien d’autres mythes rayés de nos mémoires, remplacés par un enfant bleu.
Christophe Bec, avant d’être le scénariste prolixe que nous connaissons, était un dessinateur de talent. On pourrait dire, comme pour Nat King Cole que l’on a perdu un excellent pianiste pour un bon crooner. On le sait hanté par l’apocalypse et ses conséquences depuis bien longtemps, de Zéro Absolu, et Sanctuaire à Olympus et Aurora en passant par Prométhée, son œuvre la plus conséquente. Il revient avec cet album mélangeant plusieurs genres qui représentent toute sa carrière, du dessin à l’écriture en passant par la peinture. Le voyageur qui entre dans son univers n’a pas fini d’être emporté par ces fresques d’un âge à venir. Nous pourrions rajouter visionnaire pour ce récit post apocalyptique, dans la lignée de l’âge d’or des années 60-70. C’est une spécialité de la science-fiction française, portée à son sommet avec des classiques comme Malevil de Robert Merle, Niourk de Stefan Wul, La Planète des singes (1963) de Pierre Boulle, Les hommes sans futur de Pierre Pelot, sans doute le plus proche d‘Inexistences. C’est dans cette veine que s’inscrit la variation artistique de Christophe Bec. Il choisit de laisser l’histoire s’approprier différentes formes, du tableau en quatre pages magnifiques à une nouvelle, dans l’esprit de la mythique revue Métal Hurlant. La première partie prend le large dans des pleines pages et plus, véritables tableaux fulgurants. Les montagnes obsessionnelles s’imposent dans des couleurs sombres et torturées avec parfois les visages marqués par la douleur du monde.
Il résume de façon magistrale l’histoire de l’humanité, des dinosaures à l’apocalypse, de 2001 L’Odyssée de l’Espace à Docteur Folamour. Il se laisse porter par des compositions qui ont mis plus de cinq ans pour parvenir jusqu’à nous. Le lecteur finit par quitter la narration pour entrer dans la contemplation. Il explore plusieurs formes : l’animalier, l’architecture, les grands espaces, le corps humain. Les compositions se succèdent, dans un musée personnel qu’il nous livre. Quelques phrases nous guident vers la nouvelle finale. C’est avant tout un art book, genre de plus en plus prisé par les auteurs. Ils déploient leur talent dans des variations mélangeant les styles et les matières. Il existe une constance chez Bec, ces cathédrales de pierre silencieuses, entre ciel bleu et nuit de néant. Elles dépassent les humains se débattant au pied des dieux du chaos. Les architectures torturées, détruites, dévoilent toute leur splendeur sous ses crayons et pinceaux. Nous pensons aux peintres du XVIIIe et XIXe siècles, arpentant le monde pour en ramener ces paysages aux lumières crépusculaires. Dépêchez-vous car cette fiction, au regard de l’actualité, n’en sera bientôt plus une.
Patrick Van Langhenhoven