Scénariste
Bertrand Galic
Déssinateur
Roger Vidal
Coloriste
Roger Vidal
Edition
Glénat
Date de sortie
6 septembre 2023
« Si San Francisco s’effondre, San Francisco… Où êtes-vous ? » San Francisco par Maxime Le Forestier
Avril 1906, San Francisco s’effondre comme un château de cartes. Un terrible tremblement de terre laisse une petite fille, Jenny, délaissée au milieu des décombres avec son beau-père. Elle vient de perdre sa mère et le pauvre homme n’a pas d’autre solution que d’expédier ce colis larmoyant à ses grands-parents à l’autre bout du pays, à Chicago. Le règlement postal ne prévoit pas la nature du colis mais son poids. Pour quelques cents, et un maximum de 23 pounds soit 23KG, on envoyait n’importe quel paquet, humain ou autre. C’est ainsi que Jenny se retrouve confiée à Enyeto, un Postman amérindien pour rejoindre Chicago. A pied, à cheval, en bateau, en train, ils traversent l’Amérique, aux couleurs de la fin d’une époque. Au cœur du pays, c’est encore l’ouest sauvage et ses plaines immenses, ses drôles d’individus prêts à n’importe quel mauvais coup. Ailleurs, les villes et les industries se transforment, balayant le passé de notre enfance des cow-boys et des Indiens. Cette route ne sera pas sans conséquence pour ces deux êtres déracinés, abandonnés dans un monde qui regarde vers l’avenir.
Bertrand Galic plonge sa plume dans l’âme de l’Ouest américain en pleine transformation, à l’aube du vingtième siècle. Il prend pour point de départ une de ces histoires surréalistes, improbable, des postiers de l’époque. Comme il l’explique dans le cahier final, une faille dans le système permet à des familles d’envoyer à moindres frais des enfants en vacances comme Charlotte May. Cette dernière sert en partie d’inspiration pour la petite Jenny. Il s’attache de nouveau à décrire, explorer une société en pleine mutation. C’est sans doute pourquoi il choisit un Postman amérindien et une petite fille orpheline. C’est la route, loin de celle de Jack Kerouac, qui l’intéresse plus que le but. Ce dernier nous révèle une ville de la viande et des grands-parents aux allures de Thénardier. Le voyage commence sous de bons auspices, malgré la mauvaise volonté de la pauvre gamine. Jenny et Enyeto comprennent qu’ils partagent beaucoup dans ce monde bourgeois encore accroché à un système de castes. Le scénariste joue sur ce couple improbable d’un Amérindien et d’une petite fille qui peut, dans certains coins reculés de l’Ouest, vous attirer pas mal d’ennuis. On découvre un monde aux couleurs des films de John Ford avec ces convois de chariots, ces gueules de sacripants prêts au coup de feu, sans oublier les Indiens.
Ils quittent la civilisation pour un univers sauvage déjà condamné à disparaître. Ils finiront dans la ville des abattoirs et des carcasses suspendues, la mort au bout de la route du vivant après la liberté et la vie dans les grands espaces. Dans ce climat de violence, Jenny et Enyeto préservent un espace de tendresse et de douceur qui finit par les lier à jamais. La légende de Coyote et Hibou, avec un rayon de lune, représente la métaphore de ce monde qui s’éteint et qui ne sera plus qu’un souvenir. Roger Vidal compose une symphonie d’images où le rouge prédomine comme un embrasement, un soleil couchant sur la fin d’une époque pour se lever sur une autre. Il profite de l’espace des cases qu’il malaxe comme la glaise, dans une valse sans contrainte. Les grandes planches magnifiant l’espace succèdent aux cases plus intimes, plus petites, saisissant les visages et autres dans un kaléidoscope de vie. Jenny, avec ses grands yeux ouverts sur le monde, nous rappelle l’univers des mangas. Alors qu’Enyeto se rapproche plus de la bande dessinée franco-belge comme l’ensemble de l’album. Parfois, les personnages se perdent dans les paysages immenses, trouvent leur route vers l’ailleurs dans des espaces plus urbains. Le résultat est un album magnifique à la fin ouverte, peut-être sur une suite que nous appelons de tous nos vœux, nos yeux ébahis devant ce récit émouvant.
Patrick Van Langhenhoven