Scénariste
Pierre Place
Déssinateur
Pierre Place
Coloriste
Chris
Edition
Glénat
Date de sortie
11 janvier 2023
Il reste un territoire encore vierge de l’empreinte des colons, au cœur des Rocheuses, bien avant la folie de l’or. C’est dans celui-ci que le jeune Jim Bridger, né en Virginie, commence sa carrière de Mountain Man, homme des montagnes. C’est au cours d’une expédition fluviale qu’il découvre le beau métier de trappeur, conquérant de l’or brun, le castor, à la mode sur le vieux continent qui rapporte des fortunes. Il fait commerce des peaux en tous genres. La paye est aussitôt encaissée, aussitôt dilapidée lors de grands rassemblements dans une valse de plaisirs, d’alcool et de jeux. Le reste sert à monter des expéditions au cœur de la montagne, en territoire indien hostile. Jim Bridger est moins connu que Davy Crockett, l’homme qui n’avait jamais peur. Explorateur, défricheur d’espaces inconnus, ami des Indiens, pisteur, éclaireur pour l’armée, ce sont des vies multiples en une seule. Jim Bridger, solitaire imperturbable, affronte l’inconnu, ouvre de nombreuses pistes qu’emprunteront demain les chariots des colons de la conquête de l’Ouest. Il construit son propre fort au fin fond du pays, en pleine guerre indienne contre Red Cloud. Fils des grands espaces escarpés des forêts profondes et des monts enneigés, il meurt à presque 80 ans à Kansas City dans le Missouri. Son âme s’envole, sans aucun doute pour rejoindre les montagnes qu’il aimait tant.
Après Jesse James, Wild Bill Hicock, Pierre Place, dessinateur et scénariste, nous entraine dans les grands espaces inconnus avant la conquête de l’Ouest, sur les traces de Jim Bridger. Nous découvrons une autre image que celle, plus romantique, de l’homme vêtu de peau de bête, barbu, en immersion dans la nature sauvage, celle plus sublimée de Davy Crockett, mort à Fort Alamo, campé par John Wayne, mais aussi par Fess Parker dans le feuilleton qui enchanta mon enfance. Vous préférez peut-être celle de Jeremiah Johnson de Sydney Pollack, magnifiquement interprété par Robert Redford. Pierre Place respecte la réalité historique, dépassant parfois la fiction comme le dit le dicton. Il construit son récit vers la fin de la vie de Jim Bridger, bloqué en compagnie de colons en pleine guerre indienne. Jim raconte sa vie à une jeune fille passionnée de pulps bon marché qui firent la célébrité des grandes figures de l’Ouest. Nous découvrons un jeune garçon, apprenti forgeron, qui s’embarque pour une expédition sur le Missouri. C’est d’abord un récit d’initiation, celui d’un homme libre qui apprend la dure réalité de la vie en territoire inconnu en compagnie des Indiens et d’autres trappeurs.
Pierre Place sait saisir l’instant fugace sur les visages, les gestes au cœur de l’espace immense. Son dessin ressemble à cette nature hachée, vive. Souvent les cases éclatent sous la poussée des montagnes, des plaines, des camps indiens. Elles filent le long des rivières parfois mythiques, comme échappées des peintures de George Catlin, dans une étrange poésie mâtinée de réalité. Cavaliers en avant-plan et au fond, la plaine et ses troupeaux de bisons, les montagnes, une petite maison à flanc de rocher. Elles se lovent, plus intimes, captant un regard perdu vers cet inconnu à arpenter pour ouvrir la route. La légende s’efface pour laisser la place au récit d’une vie bien plus passionnante. Forgeron, explorateur fluvial, trappeur, éclaireur, Jim trace des routes nouvelles, explore la nuit pour repousser les limites du monde. Il devient éclaireur pour l’armée, pas bien longtemps, la liberté est bien plus chère à son cœur. Ces hommes étaient déjà des anarchistes sans autre dieu (ni maitre) que la nature et l’eau vive des torrents. Bridger épouse une Indienne, pactise avec les tribus, lutte contre d’autres Indiens, vit mille existences en une seule. Les dialogues inspirés, sobres mais riches, s’appuient sur la réalité historique et de nombreux documents à découvrir en fin de volume. Il ne vous reste plus qu’à emprunter la route en devenant l’ombre de Jim Bridger.
Conseiller Historique : Farid Ameur
Patrick Van Langhenhoven