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Loire

Scénariste

Etienne Davodeau

Déssinateur

Etienne Davodeau

Coloriste

Etienne Davodeau

Edition

Futuropolis

Date de sortie

24 octobre 2023

chronique couverture loire
chroniques loire 2023 1

Louis ne pouvait pas refuser de répondre à son appel. Il lui semblait évident, comme un symbole de toutes ces années passées ensemble, de finir à la nage. C’est Lydia et Samuel qui l’accueillent au petit matin. Tout au long de cette journée, baignée par le soleil et la fraicheur du fleuve, d’autres invités arrivent. Ils sont comme Louis, d’anciens amants qu’elle quittait insouciante, instable, au gré du courant de la vie. En attendant l’invité principal, on se remémore les jours heureux en profitant de l’ombre de son grand arbre préféré et de la douceur du fleuve filant vers la mer. Les jours passent, mais elle n’est toujours pas là. Laure, sa fille, vient saluer ses vieux compagnons. Elle ne connait pas son père et ne s’en préoccupe pas. C’est le temps du souvenir qui puise ses racines dans la mémoire encore vive. C’est le temps de se noyer dans le paysage, dans une errance quand se mêlent le bonheur fugace des jours anciens et l’attente. Pour Louis, comme pour les autres, ces quelques jours au bord de la Loire deviennent le moment profond d’un éveil. De ces petites morts qui nous aident à grandir tout au long de la vie. Ce sont ces éclaircies, ces petits riens que l’on garde et qu’on transporte dans notre voyage de la naissance à la mort.

Il est difficile, malgré la tentation, de dévoiler l’intrigue de la nouvelle histoire d’Etienne Davodeau. Une fois de plus, c’est toute la poésie d’une femme, d’un fleuve dans son quotidien ordinaire. C’est la saveur de ces jours devenus précieux au fil des ans, impérissables trésors que l’on garde en son cœur. C’est ce qui nous grandit, nous permet d’avancer, comme le fleuve, de sa source à l’oubli dans le grand océan. Ces fragrances d’existence composent l’histoire au nom de pierre précieuse, d’Agathe. C’est le poids du deuil et surtout de l’absence qui marque chacun des personnages. C’est la trace que l’on voudrait trouver dans l’autre pour Louis. Dans cette histoire simple, Davodeau balaye toute la joie, la tendresse d’une vie. Les paysages s’inscrivent comme une évidence. Ils ne sont pas hors du temps, hors de l’histoire, mais bien des personnages à part entière. Le fil de cette histoire, ailleurs, serait autre, prendrait une forme et un chemin différents. Dès ses début, Davodeau bouscule la bande dessinée, déjà en mutation profonde. Il inscrit avec talent le quotidien comme un récit prenant. Pour la première fois, il raconte quelque chose qui appartient à la fois à un autre et en même temps en dit plus sur nous-mêmes que toute fiction. Il dévoile un genre nouveau que d’autres empruntent avec plus ou moins de talent. Dans ce dernier récit apparaît une autre évidence, celle de l’importance du décor, du paysage.

« L’artiste enfin est un voyant qui sait découvrir derrière les choses ce que l’homme ordinaire n’a pas su percevoir, il sait regarder et pourrait satisfaire ces attentes d’un regard. » Isabelle Trivisani-Moreau Le Regard de L’artiste Presses universitaires de Rennes.

Dans Loire, toutes ces aquarelles renforcent la magie du récit. Il capte l’âme d’un moment sur le fleuve. Que ce soit un pont et la ville au loin, une sterne, un rapace rasant les flots, un héron sur la berge, un vieil homme contemplatif, il transforme des moments simples du paysage, de jour comme de nuit, en magie existentielle. Le contemplatif, la méditation quand l’esprit finit par se fondre dans le décor. Quand l’humain, le fleuve et tout ce qui nous entoure ne font plus qu’un, d’âme à âme. C’est le secret du peintre, s’oublier dans l’essentiel. Les arbres frémissent, le fleuve bouillonne, l’herbe tremble, les maisons de pierre sont bien plus que des habitations. Le moment du deuil devient celui de la continuité et non plus du vide. Nous pensons à un autre récit, celui de l’émancipation avec Lulu femme nue, peut-être Agathe aujourd’hui. Quelques moments s’élèvent comme des nuages du sommet de la montagne. C’est l’arrivée de Louis et sa traversée à la nage, la présence d’un arbre, la baignade. Et surtout, cet instant qui est pour nous une métaphore de l’album, la rencontre d’un vieil homme au bord du fleuve. « Elle a l’air tranquille. On croit la connaître, mais elle fait bien ce qu’elle veut. » Et si, tout simplement, Agathe était une métaphore du fleuve. Pour moi, bien plus qu’un album sur le deuil, c’est une poésie, un cri d’amour à la Loire.

Patrick Van Langhenhoven