Scénariste
Georges Bess
Déssinateur
Georges Bess
Coloriste
Georges Bess
Edition
Glénat
Date de sortie
22-11-2023
C’est au cœur de Paris autour d’une cathédrale, vaisseau de pierre, que se joue le destin de deux âmes perdues, innocentes. Du haut de celle-ci s’élance la silhouette informe d’un enfant oublié, abandonné aux tourments de l’amour. Sur le parvis veillent l’archidiacre, Claude Frollo, une âme tourmentée par la jalousie et Dieu creusant l’alchimie du désir et de la haine. Gringoire, un poète, erre sur le parvis, quelques vers en bouche. Il devient un mari de pacotille pour une belle et sa chèvre. Aux portes du navire de prières se dresse l’ombre noire, silhouette majestueuse, de Phoebus, l’épée de la loi. Pendant que le bossu, pape des fous, s’élance sur le bourdon résonnant comme un glas n’annonçant rien de bien, tous les regards se tournent vers la place au soleil où une fille s’est mise à danser. Esmeralda fait tanguer les cœurs, sa beauté est l’âme du vaisseau, son innocence sa lumière. Il manque à ce drame une troupe débraillée et son roi de la cour des miracles, Thunes Trouillefou, chef des truands et autres monstres difformes. Sous le regard de pierre se joue la tragédie de la vie accrochée au regard d’une femme pour les beaux yeux de l’amour. L’innocence se niche aussi bien dans la beauté sincère que dans le corps brisé d’un bossu représentant bien plus que le mythe de la Belle et la Bête. Dieu et la destinée, relent lointain de la tragédie antique, jouent dans les méandres de la vie la partition des apparences trompeuses et brisées. C’est la représentation de l’amour romantique et divin, inaccessible à la raison, trouvant sa résolution dans l’ombre des tombeaux.
« C’est le Shakespeare du roman, c’est une œuvre colossale, une pierre antédiluvienne, c’est l’épopée du Moyen Âge ! L’auteur est plus haut que vos tours de Notre-Dame ! » Lamartine.
Après deux œuvres majeures du roman gothique, Frankenstein de Mary Shelley, Dracula de Bram Stoker, Georges Bess se lance dans l’adaptation du plus grand roman de la littérature française, Notre-Dame de Paris. Quand Victor Hugo rencontre l’un des géants de la bande dessinée, cela ne peut donner qu’une œuvre remarquable, inoubliable. La mise en images ne se contente pas d’accompagner le texte mais lui donne un nouveau souffle, transportant les mots du poète vers l’infini. Georges Bess transcende ce roman haletant, exhumant de l’ombre bien plus que la notion d’anarchie, souvent présente dans l’œuvre d’Hugo et du dessinateur. Ce dernier met en avant la liberté folle, ultime, sans chaines ni tabou. La cathédrale, vaisseau de pierre, est une forêt profonde, temple d’initiation, d’alchimie, de transformation des êtres. Quasimodo, amoureux innocent, soustrait Esmeralda, la vertu, au désir des hommes. Il la porte au sommet des tours caressant le ciel. Au-delà des formes, ce sont deux âmes pures qui s’unissent à jamais, au cœur de la mort. Nous retrouvons dans le texte et le choix du noir et blanc les bases du roman gothique et du romantisme noir. C’est la transgression des tabous sociaux et religieux, l’exploration de la psyché humaine, de la mort, de la folie et du mal. Nous pensons aussi à Anne Radcliffe, Les mystères de la forêt, l’apprentissage de la pureté face au vice. C’est dans ce jeu inspiré des gravures de l’époque et du dessin d’Hugo que Georges Bess dévoile des parties insoupçonnées du récit.
Il s’inscrit dans la tradition du clair-obscur aussi bien en peinture que dans le cinéma. Nous pensons à Murnau Nosferatu, l’Aurore, Borzage et son clair-obscur embrumé, Fritz Lang, M le Maudit, la Roue d’Abel Gance. Le monde des hommes, de la cour des miracles aux demeures des nobles, en passant par l’antre de l’alchimiste Claude Frollo devient un chemin de perdition, d’errance, d’une ville au pont chargé d’habitations. Georges Bess fait apparaître sous la magie de son dessin le cœur vibrant de tous ses personnages, guidés par le désir, le pouvoir, la haine. Cette forêt humaine est un écho à celle, magique, labyrinthique de la cathédrale bâtie avec l’âme des chênes antiques des forêts primaires du pays.
Baudelaire affirme qu’Hugo est « un génie sans frontières ».
Il met en lumière l’amour sans faille de Quasimodo et Esmeralda, débarrassé des entraves humaines, libre de côtoyer les cieux. Le dessin se libère à son tour pour épouser l’œuvre du poète touchant à l’essentiel. La danse sur la place devient un mouvement symbolique qui éclaire et emporte le lecteur au plus près de l’âme du récit. Le long travail de préparation touche à la perfection. Pas à pas, il peaufine l’ouvrage, comme en leur temps les bâtisseurs des cathédrales. Chaque scène trouve sa place dans un cheminement initiatique nous conduisant à la découverte de notre âme et de celle du roman. Notre-Dame de Paris d’Hugo, lui aussi dessinateur, et de Georges Bess devient une œuvre alchimique transformant le plomb en or, élevant notre conscience. Dans cette galerie de personnages, il nous fait découvrir Gringoire, beaucoup plus en relief et toute une architecture chère à Hugo. Avec cette troisième adaptation, c’est une grande leçon du noir et blanc qu’il nous offre, Notre-Dame de Paris en étant pour l’instant le sommet mais je ne doute pas que ce magicien nous surprenne encore.
Patrick Van Langhenhoven